✹ Préambule et introduction
Après plusieurs années bouleversées par la crise du covid, 2023 s’inscrit comme la première qui permet d’avoir une meilleure visibilité sur la situation des festivals.
Si la couverture médiatique de l’été s’est réjouie du retour des publics et d’éditions records, une lecture plus nuancée de la saison 2023 est nécessaire. Le contexte général et l’avenir s’annoncent plus complexes et le fossé entre les quelques très gros festivals et les autres s’agrandit. Les informations qui suivent permettent d’objectiver la situation afin de dresser un bilan de la saison 2023.
Le secteur a dû faire face à plusieurs défis en sortie de crise sanitaire.
Le « retour à la normale » a pris du temps, les aides exceptionnelles ont pris fin et le secteur est aujourd’hui confronté à une inflation extrêmement forte. Le public est globalement revenu, mais avec des habitudes différentes : réservations plus tardives, davantage d’intérêt pour les artistes déjà repéré·es.
Les charges ont explosé en raison de l’inflation à tous les niveaux : salaires, énergie, cachets artistiques des têtes d’affiche, frais de déplacements, assurances, services de sécurité privée, hôtellerie et restauration etc. Pour supporter ces coûts, les marges de manœuvres sont le licenciement et/ou la réduction du budget artistique.
Lors d’une enquête récente, plus de 90% des festivals adhérents au SMA ont répondu qu’ils voyaient l’avenir assez complexe voire très difficile.
✹ Le retour des publics
Après une crise sanitaire dont les conséquences ont été lourdes sur les festivals, les publics semblent revenir sur les évènements. En effet, 55% des festivals adhérents ont fait complet sur au moins une journée.
Attention tout de même car cela peut être assez hétérogène d’une manifestation à une autre, il semblerait en effet que les tendances pour les évènements de l’automne 2023 soient moins enthousiasmantes.
Par ailleurs, les festivals sont soumis à un grand nombre d’aléas extérieurs pouvant jouer sur la venue des publics.
Et quoi qu’il en soit, une bonne fréquentation ne signifie pas un modèle à l’équilibre…
✹ Une inflation généralisée
43% des festivals présentent une édition 2023 déficitaire. Le montant moyen des déficits est 115 400€.
Avec 191 000 euros en moyenne de réserves propres, soit seulement 16% du budget global moyen,les inquiétudes concernant la trésorerie s’ajoutent à celles
sur la pérennité d’un modèle économique qui a atteint ses limites.
Les évènements déplorent des financements publics en berne, qui ne leur permettent pas d’être soutenus pour leur fonctionnement. La part de ces financements publics représentait 14% du budget global des festivals en 2022, qui était lui même de 1,2 million d’euros en moyenne, avec toutefois une très grande diversité selon les évènements.
Par ailleurs, les organisateur·rices remarquent une inflation généralisée. En voici quelques illustrations :
– Plus de 70% des festivals font face à une hausse du budget artistique entre 2022 et 2023, de l’ordre de +20% en moyenne.
En 2022, le budget artistique représentait 29% du budget global moyen, et nous avions déjà constaté entre 2015 et 2022 chez les festivals adhérents une augmentation de 95% de ce budget.
L’ensemble des festivals déplorent également une forte augmentation des coûts d’accueil, avec des riders déraisonnables et déraisonnés.
– Une hausse des coûts d’assurance de +56% entre 2019 et 2022. Par ailleurs, à cause des risques grandissants, les inquiétudes sont nombreuses pour le secteur qui ne peut parfois plus être couvert sur tout.
Les festivals pourraient-ils devenir inassurables ?
– Des frais de sécurité privée qui ont augmenté de 26% entre 2019 et 2022, atteignant en moyenne 48 500 euros.
✹ Des règlementations de plus en plus contraignantes
Depuis un certain nombre d’années, les règlementations se multiplient et se durcissent. Cette accumulation est souvent coûteuse et difficile à assumer par les équipes.
Au niveau de la réglementation sonore,le nombre d’EINS (étude d‘impact sur les nuisances sonores) demandées est en augmentation malgré les défis techniques nécessaireset les problèmes soulevés par son application. A ce jour, il est clair que le parc de matériel de sonorisation existant ou encore les compétences et formations au sein des équipes ne peuvent répondre au niveau d’exigence très élevé de la réglementation.
Le secteur est prêt à s’organiser mais cela nécessite du temps, de la concertation, des moyens financiers et de l’innovation.
Le festival Marsatac a travaillé avec AGI-SON et de nombreux partenaires pour mettre en place une expérimentation nationale de la gestion sonore des festivals de plein air.
✹ Une intensification du changement climatique qui n’épargne pas les festivals
L’intensification du changement climatique et la multiplication d’événements météorologiques et climatiques extrêmes impactent directement les festivals.
Lors de la saison 2023, un tiers des festivals interrogés déclarent avoir fait l’objet d’aléas climatiques : annulations d’une ou plusieurs journées, réorganisations des espaces, révisions des horaires, billetteries qui stagnent, etc.
Incendies, périodes de canicules, orages et précipitations extrêmes… L’été 2023 se place au 4ème rang des plus chauds en France selonMétéo France, et 26 vigilances orange ou rouge ont été dénombrées (20 pour orages, 3 pour canicules, 3 pour vagues-submersion). La plupart des festivals se déroulant en plein air, la multiplication d’événements climatiques extrêmes est un risque supplémentaire et pourrait avoir un impact considérable sur la fréquentation. Or, depuis le covid, l’achat de places en dernière minute est devenu une pratique plus fréquente, il s’est avéré très clair que les chaleurs extrêmes annoncées ont démobilisé ce type de public.
Le festival Woodstower a par exemple dû gérer une alerte canicule vigilance rouge sur ses deux premières journées puis des alertes orageuses et de fortes pluies sur le week-end.
✹ Quelles saison 2024 des festivals en parallèle des Jeux Olympiques et Paralympiques 2024 ?
Le SMA suit avec attention l’évolution de la situation pour les festivals prévus pendant la période des JOP 2024.
Si la circulaire de décembre 2022 est venue clarifier la situation du maintien des festivals, il reste quelques incertitudes sur les autorisations préfectorales…
En effet, à ce jour, plus de 20% des festivals interrogés dans une enquête ne sont toujours pas certains de la bonne tenue de leur édition 2024, alors même que d’autres ont déjà dû soit renoncer, soit s’adapter sous la contrainte avec par exemple des changements de dates.
Par ailleurs, la mobilisation de matériels et équipes techniques, de sécurité, etc. par les JOP vient tendre fortement le marché des prestataires et des recrutements : hôtellerie, barrières, écrans, scènes et matériels sonores, etc.
✹ Des festivals engagés et fédérateurs
Les festivals membres du SMA semblent pouvoir compter sur des publics fidèles qui mettent beaucoup d’importance à venir sur des évènements engagés et porteurs de valeurs. A titre d’illustration :
― 97% des festivals accordent une importance particulière à l’émergence
― Plus de 3/4 des adhérents ont au moins un·e référent·e sur les questions de transition écologique
― 97% des organisateur·rices d’évènements ont mis en place des dispositifs tels que des campagnes de communication, des formations, des stands de prévention, des applications de signalement… pour prévenir et lutter contre les violences sexistes et sexuelles.
Par ailleurs, les structures adhérentes se tournent d’autant plus vers la mutualisation, l’entraide, à travers notamment des projets fédérateurs et collectifs tels que Safer – un dispositif de prévention des violences et harcèlements à caractère sexiste et sexuel mis en place par l’association Orane / Marsatac et désormais utilisé lors de nombreux évènements, Déclic – porté par la FEDELIMA et le SMA qui vise à élaborer une stratégie de transition écologique pour le spectacle vivant musiques actuelles, ou encore SoTicket, billetterie coopérative et solidaire déjà utilisée dans de nombreuses salles et en train de se déployer pour les festivals.
✹ Des modèles économiques en déséquilibre
Le modèle économique des festivals adhérents au SMA arrivent pour la plupart à leurs limites.
Le modèle économique de festivals financés à plus de 85% par leurs recettes propres atteint ses limites. Les organisateur·rices réuni·es au sein du groupe de
travail du SMA souhaitent partager leur expérience pour inventer de nouvelles voies de développement, celles d’une croissance raisonnée et ancrée dans
l’intérêt général, compatible avec les nouveaux enjeux, et les contraintes propres à chaque territoire, chaque événement. Ils se reconnaissent davantage comme
des acteurs culturels et sociaux que comme des entrepreneurs du divertissement. Leurs publics semblent plébisciter ces projets motivés par une dynamique d’économie sociale et solidaire. Sans sacrifier l’expression de la diversité culturelle, chacun s’interroge sur la manière de produire de manière plus vertueuse, sur les moyens et les
ressources à mutualiser, sur la création d’autres indicateurs que celui des chiffres de la fréquentation, ou encore sur la nature de l’expérience festivalière
offerte aux publics.
Les festivals sont devenus des acteurs majeurs du développement des territoires et de la structuration de la filière. C’est l’une des premières pratiques culturelles des Français·es et bien souvent la première expérience des plus jeunes. Il est donc de notre responsabilité de concevoir des modèles résilients et adaptés aux enjeux d’aujourd’hui. Mais pour ce faire, nous avons besoin de l’aide de l’Etat et des collectivités locales, d’un accompagnement et d’un cadre protecteur pour réussir cette transition.
Ainsi, loin de baisser les bras, les festivals tentent en fonction de leur territoire, de leur projet et de leur histoire d’explorer de nouvelles voies.